« Les 260 propositions de David Colon pour Sciences Po » (Le Monde, 1er février 2013)

Propos recueillis par Nathalie Brafman

Il ne s’était pas présenté la première fois. Il a décidé de sauter le pas cette fois. David Colon, 39 ans, enseignant à l’IEP de Paris depuis 2001, chercheur depuis 2002, membre de l’administration depuis 2003 et directeur du campus de Paris du Collège universitaire de Sciences Po (4000 élèves sur les trois premières années) depuis 2010, explique sa démarche et son projet pour l’établissement -260 propositions pour Sciences Po- qu’il a décidé de rendre public sur Le grand amphi. Sur Facebook, un comité de soutien a déjà rallié près de 650 personnes.

Pourquoi êtes-vous candidat aujourd’hui ?

A la mort de Richard Descoings, Hervé Crès était le plus légitime pour lui succéder immédiatement. J’avais espoir que notre établissement échappe à une crise ouverte. Cet espoir a été déçu.

Trouvez-vous que la nouvelle procédure mise en place aujourd’hui plus transparente que la première ?

Il y a un progrès, c’est indéniable, dans la mesure où les salariés, les enseignants et les anciens y sont représentés à côté des étudiants. Je prends acte de la volonté du comité de recherche de travailler en toute transparence mais je regrette qu’il ne soit pas davantage représentatif des différentes composantes de Sciences Po : les représentants des étudiants, des enseignants, des chercheurs, des salariés et des anciens n’y sont pas représentés à proportion de tout ce qu’ils apportent à la vie et au financement de l’établissement.

Le comité de recherche reflète l’organisation actuelle de nos institutions. Il est le reflet du caractère très peu représentatif du conseil d’administration de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP). C’est pourquoi, une refonte des statuts est nécessaire. Aujourd’hui, les étudiants, les chercheurs, les enseignants, les anciens et les salariés sont représentés en fonction de collège électoraux obsolètes. Il faut que ce conseil soit composé au moins à 50% de représentants élus des différentes composantes de Sciences Po.

Quel héritage de Richard Descoings conserverez-vous ?

L’héritage de Richard Descoings n’est pas un bloc. J’ai contribué sous sa direction à la politique d’égalité des chances, à la démocratisation et à la diversification des étudiants.  Je partage sa conviction : Sciences Po a une mission d’intérêt général et doit contribuer à la réussite de tous les élèves, et pas seulement de ceux de Sciences Po, et aux transformations de l’enseignement supérieur et de la recherche. Sa gestion doit être aussi parfaitement irréprochable. Il faudra que Sciences Po mette en oeuvre toutes les recommandations de la Cour des comptes, sans la moindre exception.

L’octroi de primes exceptionnelles accordées au membre du comité exécutif avait défrayé la chronique fin 2011, quelle sera votre politique sur le sujet ?

Je propose que soit supprimée la part variable de rémunération des cadres dirigeants qui n’a pas lieu d’être dans un établissement qui n’a pas vocation à créer de la richesse marchande. Je vais proposer la réouverture de négociations en vue de la conclusion d’un nouvel accord professionnel avec les salariés. Accord qui portera sur un dispositif plus équitable et plus transparent. Je proposerai une augmentation des bas salaires, une réduction des salaires les plus élevés au titre de l’exemplarité. Il faudra aussi créer une direction générale des services, un ou une haut fonctionnaire chargé de la gestion administrative, comme cela existe dans toutes les universités. Cette direction garantira, conformément aux recommandations de la Cour des comptes, que ne soient pas concentrés entre les mains d’une seule personne les décisions d’engagement et leur mise en oeuvre. Emile Boutmy (le fondateur de Sciences Po) disait : il ne faut pas désarmer le pouvoir, il faut armer les libertés. Je crois qu’à Sciences Po, il est indispensable d’armer les libertés.

Quels sont les grands axes de votre projet ?

Je veux promouvoir une école ouverte. Ce sera mon premier axe : Sciences Po doit doit être un établissement qui s’ouvre davantage sur la cité, qui veille à rétablir la confiance avec ses partenaires (tutelle, collectivités territoriales…), avec les autres IEP en région avec lesquels nous devons favoriser un travail en réseau, avec les universités, les écoles. Il faut aussi accroître l’ouverture à l’international en favorisant la mobilité de tous nos personnels et pas seulement de nos étudiants. Par ailleurs, nous devrons établir un partenariat durable avec les anciens élèves.

Mon deuxième axe : faire de Sciences Po un modèle d’innovation et d’excellence pour la formation et la recherche. Depuis sa création, Sciences Po a toujours innové, il faut qu’elle continue. Dans les cinq prochaines années, la priorité devra être celle de la révolution numérique. Notre école devra proposer des cours en lignes ouverts à tous, ce que l’on appelle les MOOC. Je vais proposer de doter nos élèves d’une culture générale numérique. Il faut que Sciences Po innove en rapprochant les sciences sociales qui sont notre tradition et notre force de domaines nouveaux : les sciences, les techniques, pour proposer en premier cycle un cursus d’humanités digitales entre Sciences Po, classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) et un IUT afin de décloisonner les savoirs, dans la continuité de ce que nous avons fait en créant un cursus sciences et sciences sociales, mathématiques appliqués et sciences sociales. Je propose de créer des cursus plus traditionnels mais qui n’existent pas encore en premier cycle : un double diplôme en géographie et sciences sociales, histoire de l’art et sciences sociales… Je propose aussi la création d’un  double diplôme avec une faculté de médecine : santé et sciences sociales, autrement dit une licence généraliste de santé. En master, il y aura aussi des cursus nouveaux. La mission d’intérêt général de Sciences Po est de contribuer à son niveau au décloisonnement entre les grandes écoles, les universités, les CPGE et les IUT, entre les sciences dures et les sciences sociales.

Enfin, mon dernier axe enfin sera davantage d’associer tous les acteurs de Sciences Po internes et externes au développement de notre établissement. Les étudiants sont notre première richesse, ils ont leurs mots à dire dans la gestion et la gouvernance. Mais nous devons davantage les encourager à participer à la gestion de Sciences Po, à entreprendre et à innover. Je veux qu’ils soient mieux représentés dans les instances de l’école ainsi qu’au conseil d’administration de la FNSP.

Quelle sera votre politique en matière des droits d’inscription ?

Le produit des droits de scolarité a été multiplié par huit depuis 2001. Si je suis nommé, je proposerai le gel de ces droits sur cinq ans et le lissage des droits pour éviter les effets de seuils. L’éducation n’est pas une valeur marchande. Nous devons améliorer la qualité des services envers nos étudiants et ne plus les considérer comme un coût d’un côté mais comme le principal financeur privé de l’autre. Au contraire, nous devons améliorer la qualité des services rendus aux étudiants et nous devons investir dans leur intelligence, dans leur capacité d’entreprendre et d’innover. D’ailleurs, je souhaite la création d’un fonds pour les aider à monter des projet. Fonds qui serait abondé par des partenaires publics et privés et par des anciens de l’école.

Les anciens élèves ont le sentiment d’être tenus à l’écart, que ferez-vous pour les rapprocher de l’école ?

C’est vrai, nous n’avons pas su mobiliser le réseau des anciens. Quand je vois, dans le budget 2013, la part du financement qui revient aux dons, je me dis que l’on peut faire collectivement mieux à la condition d’établir un véritable partenariat à l’égard des anciens élèves. Beaucoup de nos anciens sont perturbés par la crise que nous traversons depuis un an, il faut les rassurer et rétablir la confiance. Il faut que nous établissions de réels partenariats avec eux avec des objectifs partagés y compris en terme de financement de l’institution. Je sais que l’association des anciens est demandeuse d’un tel partenariat. Enfin, nous devons reconnaître les anciens à leur juste valeur et les impliquer davantage dans la vie de l’établissement. Je propose aussi de permettre le développement de l’association des anciens en rendant systématique, passé un semestre, l’inscription de nos élèves à l’association , y compris pour les élèves en échange. En quelques années, nous pourrons renouveler en profondeur la composition de cette association et faire en sorte que les liens entre les étudiants et les anciens soient plus étroits.

On critique souvent le fait que Sciences Po a beaucoup trop de vacataires et trop peu d’enseignants-chercheurs maison, qu’en pensez-vous ?

Sciences Po doit accroître sa faculté permanente par le recrutement de nouveaux enseignants-chercheurs de rang international. En même temps, il me paraît nécessaire de préserver ce qui fait depuis sa création la spécificité et l’originalité de Sciences Po, c’est-à-dire le recours à des enseignants d’autres établissement. Une condition pour que Sciences Po reste ouverte sur la société c’est précisément que nous continuions à faire appel à des enseignants non permanents.

En quoi êtes-vous légitime pour vous présenter ? Répondez-vous aux critères fixés par le comité de recherche ?

Je réponds aux quatre critères : connaître l’établissement, le monde universitaire et les disciplines enseignées à Sciences Po et enfin avoir des qualités de management.

En tant qu’ancien, chercheur, enseignant permanent et membre de l’administration, je connais bien la maison et ces évolutions récentes.

Je dirige le campus de Paris et ses 4000 étudiants et ma gestion est exempte de reproches.

Je ne suis pas un universitaire puisque je suis professeur agrégé affecté dans le supérieur et chercheur spécialiste des institutions universitaires et des mouvements étudiants. Mais mon travail à Sciences Po depuis dix ans m’a rendu familier des problématiques de l’enseignement supérieur en France et à l’étranger. J’ai par ailleurs une solide expérience au sein de groupes d’experts sur le scolaire et le supérieur.

Enfin, j’appartiens à l’une des disciplines de Sciences Po en tant que chercheur,  membre élu du département d’histoire. J’ai aussi une excellente connaissance de toutes les autres disciplines enseignées en tant que responsable pédagogique. J’ai été responsable du premier cours obligatoire de sociologie, de droit… Et je connais aussi très bien les enseignements trans ou pluridisciplinaires.

On dit que pour gérer Sciences Po, il faut aussi avoir un bon réseau politique, ce que Richard Descoings avait, est-ce aussi votre cas ?

Plus que le réseau, le plus important, à mes yeux, est d’être doté d’un sens politique. La précédente procédure de recherche reposait sur un concours de profil, j’aimerais que cette procédure repose davantage sur un concours de projets. Et surtout, je souhaite que le plus grand nombre de candidats adopte une démarche transparente en rendant public leur projet.

 

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